Chez makesense, on change pour devenir nous-mêmes !

makesense
13 min readDec 14, 2022

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Ou comment nous avons élaboré collectivement notre stratégie du changement.

Ça fait plus de dix ans qu’on existe. Dix ans qu’on bourlingue, qu’on franchit des cols et des ravins, qu’on trébuche et qu’on se relève, qu’on expérimente tous azimuts, et surtout, qu’on avance avec des gens formidables pour contribuer à créer une société inclusive et durable… Alors on s’est dit que c’était le moment de faire une pause, d’apprécier le chemin parcouru, et surtout de préciser notre rôle et utilité pour la société. Ce travail de réflexion, nous l’avons fait collectivement, et pendant presque un an !

Aujourd’hui, on vous raconte comment ça s’est passé, et pour quels résultats. Spoiler : on va parler d’une analyse systémique des problèmes, de la prise de décision démocratique et de l’importance de la joie et de la célébration…

Cet article est le premier d’une série d’articles qui présentent nos aventures dans les théories de changement.

Aux origines du projet…

L’aventure de makesense n’est pas une ligne droite. C’est plus un arbre, avec plein de ramifications, de sous-branches, qui fleurissent de partout.

On a toujours revendiqué ce fonctionnement horizontal et décentralisé. Chez nous, tout le monde est libre de lancer une initiative, un projet, et d’emmener une petite équipe avec lui (tant que cela est fait de façon responsable). Forcément, avec les années, makesense est devenu ce laboratoire d’idées que l’on connaît, ce terrain d’expérimentations et d’actions parallèles… Parmi les programmes nés de nos expérimentations collectives, vous connaissez peut-être ré_action, paumé.e.s, le Club des Communautés ou jobs.makesense.org.

Ce mode de fonctionnement vivant et bouillonnant, on y tient, mais on est conscient des risques associés. D’abord, il est possible de perdre son identité, de ne plus connaître sa mission profonde. Ça, notre raison d’être nous en préserve.

Ensuite, l’organisation peut s’éparpiller et perdre en efficacité : les projets peuvent devenir trop nombreux, trop complexes, ou même entrer en concurrence les uns avec les autres… Le tout peut être couplé avec un risque de fatigue des membres, usés d’avancer sans ligne de priorisation claire, ou sans forcément se sentir 100% alignés avec leurs collègues. C’est le sentiment que nous étions plusieurs à partager durant l’été 2021.

C’est pourquoi tous et toutes ensemble, en associant à chaque étape le reste du collectif, Lucie, JC, Solène, mais aussi Alizée, Léa et Paul, se sont retroussés les manches pendant plusieurs mois. Au menu : une grande réflexion collective, impliquant toutes les personnes travaillant avec makesense ou chez makesense, afin d’affiner l’utilité de l’organisation et de définir des priorités collectives.

“Nous faisons face à des urgences, dit Lucie, l’une des six protagonistes. Il y a l’urgence sociale, l’urgence climatique, l’urgence économique… Il faut qu’on soit capable de prioriser nos actions pour se concentrer sur les plus efficaces, en s’alliant avec d’autres acteurs pour arriver à nos fins !”

Première étape : la concertation

Hors de question, pour les six mousquetaires, de prendre une décision de manière autocratique puis de l’imposer. Le but, c’était que tout le monde vibre au même diapason ! Alors, en octobre 2021, ils et elles ont décidé de lancer un grand chantier participatif, sans idées préconçues, sans même savoir exactement le chemin que suivrait ce travail au fil du temps et le résultat final. “On croyait que ça durerait quatre mois, se souvient Paul. On était optimistes…”

En effet, la prise de décision concertée sur une stratégie prend du temps, demande de la pédagogie. Il faut être capable de se mettre dans la peau du collègue, du bénévole ou du bénéficiaire qui ne pense pas exactement comme nous — et tant mieux. Pas de chef qui décide pour tout le monde ou d’actionnaires qui imposent une vision, c’est pas le genre de la maison ! Pour cadrer les débats, les six mousquetaires ont d’abord posé six scénarios sur le papier — six futurs clivants pour makesense. Certaines de ces projections étaient radicales ou peu réalistes, et visaient justement à polariser pour valoriser ce à quoi nous tenons. L’un des scénarios les plus étonnants imaginait qu’on se concentre sur seulement 50 entreprises pour les transformer (mais alors, à fond, à fond !) ; un autre imaginait makesense devenant une centrale d’achat de produits d’entrepreneurs sociaux… Ces six scénarios ont été présentés aux salariés, aux bénévoles, aux clients, aux partenaires, pour connaître leurs avis et leurs suggestions. Les débats ont été parfois vifs et endiablés, mais toujours constructifs. À la machine à café, entre deux réunions ou lors de points improvisés : chaque personne qui le souhaitait a pu faire part de son enthousiasme, ses peurs ou de son point de vue.

Recherches participatives
En parallèle, tous les salariés de makesense se sont lancés dans un véritable travail de recherche, “pour mieux comprendre l’état du monde”, selon Lucie en suivant une démarche quasi-universitaire. “On voulait se mettre à jour intellectuellement, théoriquement, sur les différentes crises qui nous préoccupent. Comprendre leurs causes profondes, les mécanismes et pression à l’œuvre, mais aussi leur complexité, pour ne pas se contenter de solutions toutes faites mais bien saisir le problème. On a lu des livres, écouté des podcasts, on a rencontré des chercheurs, des entrepreneurs…”

Au final, plus de 50 contenus ont été analysés et digérés, dont des dizaines d’entretiens pour avoir des regards extérieurs sur tout un tas de sujets… Nous avons lu Camus sur la révolte, Nick Montgomery et Carla Bergman sur la joie militante, Sarah Mazouz et Éléonore Lépinard sur l’intersectionnalité, John Dewey sur la démocratie radicale. Nous avons écouté Denis Meadows sur les problèmes locaux et globaux, Loïc Blondiaux sur la concertation, Alexandra Ocasio Cortez sur le pouvoir, le capitalisme et des luttes efficaces, Walter Bouvais sur l’utopie, Cécile Duflot sur les inégalités. Nous avons rencontré Guibert de Marmol, Marie Yared d’Avaaz, des membres d’Extinction Rébellion, de Notre affaire à Tous, des experts de la transformation des entreprises, Sophie Dubuisson Quellier, des supermobilisateurs et mobilisatrices de nos programmes et parfois mêmes nos voisins, nos oncles et tantes et nos frères et soeurs — parce que notre capacité à nous adresser à leurs préoccupations sont au coeur du changement.

Cette phase de divergence était passionnante, mais il fallait aussi avancer !

Nous avons synthétisé tous les apprentissages de cette phase d’ouverture, mettant en exergue les causes à la racine des crises, et déboulonnant les faux moyens de lutter. Nous en avons à nouveau parlé ensemble, pour voir comment ca résonnait chez les uns et les autres et ce que cela voulait dire chez makesense.

“C’était passionnant de lire tous ces entretiens, de repérer des idées fortes, se rappelle Alizée. Nous avons parlé de la crise de notre démocratie et de ses valeurs, des errances de l’économie à impact qui reste trop dépendante — parfois caution même — de l’économie classique, de la difficulté à saisir la bonne échelle pour agir — entre le local et global ou encore de l’importance du collectif pour réussir tout changement. Cette analyse du monde nous a donné le goût de l’exigence. Elle a été une manière d’affûter notre esprit pour ne plus donner des coups dans l’eau !”

Nous sommes ressortis avec une compréhension affinée des leviers pour changer le système. L’outil de l’iceberg, qui permet de présenter chaque système par couches successives, nous a beaucoup inspirés. Il nous apprend que pour changer les “faits”, pour venir à bout des problèmes concrets que nous vivons, nous pouvons agir à différents niveaux. Nous pouvons agir sur les tendances qui traversent notre société. Pour les influencer, nous pouvons agir sur les structures qui les déterminent. Enfin pour changer tout cela sur le long terme, c’est sur les modèles mentaux et les principes fondamentaux d’une société qu’il faut agir.

Cette première étape nous a aussi permis de se réaffirmer ce qui fait et fera les bases de makesense : nos incontournables. “L’intelligence collective, les communautés et la capacité d’entreprendre constituent notre ADN et seront toujours la base de nos actions, rappelle Léa. Travailler avec des acteurs aussi divers que des citoyens curieux, des entrepreneurs, des employés dans des entreprises ou encore des dirigeants d’association et des agents publics est ce qui fait notre force et notre unicité. Enfin en résonance avec notre valeur “Practice what you preach”, le soin mis à renforcer notre propre modèle d’organisation et de gouvernance reste un pilier au cœur de nos priorités !” Ces éléments devaient se retrouver dans le choix final …

Deuxième étape : le match des scénarios

Progressivement, les 6 mousquetaires ont convergé sur deux scénarios “finalistes” crédibles pour makesense, enthousiasmant pour l’équipe projet et permettant de créer un vrai changement en capitalisant sur ce que nous sommes.

Les voici…

Scénario 1 : on transforme les croyances et les principes d’actions des individus pour leur permettre de créer un changement de société en profondeur (plutôt que de chercher à transformer les organisations directement).

Il s’agit ici d’agir sur ce qui est le plus à même de transformer la société sur le long-terme, la base de l’iceberg : les façons de voir le monde, les convictions, les idéaux, les croyances partagées qui font nos sociétés ! Pour renouveler les normes sociales qui guident nos actions collectives, nous devons faire évoluer ce qu’on entend dans les médias, ce qu’on nous apprend à l’école, ce qu’on fait en entreprise ou dans sa vie citoyenne.

Nous avons ici identifié 5 principes qui nous paraissent essentiels pour aller dans le sens d’une société durable et inclusive. (Patience !)

Dans ce scénario, makesense permet à des millions de personnes de comprendre le monde dans sa complexité et d’agir utilement, en conscience, pour transformer leurs propres mondes. makesense sait créer des expériences qui transforment, des méthodes pour transmettre des principes d’action, des outils pour agir et répondre aux problèmes de notre société.

Notre indicateur clé, ce serait alors le nombre de personnes transformées.

Scénario 2 : on gagne des victoires concrètes à 3 ans en concentrant nos actions sur 3 secteurs (plutôt que d’accepter tous les combats qui vont dans le bon sens).

Nous l’avons appris, le changement concret arrive toujours du fait de l’action combinée de multiples acteurs et mouvements (privé, public, citoyen) ; il s’opère grâce à un travail de long-terme et des accélérations qui créent des rapports de force. Ici, on concentre notre action pour gagner des victoires qui “crantent” l’évolution vers cette société durable et inclusive dont nous rêvons : un changement législatif, une nouvelle politique territoriale, un buzz médiatique qui transforme dans la durée la façon de traiter un enjeu, …

Pour contribuer à ces batailles, makesense sait faire de la mobilisation citoyenne, faire émerger des solutions utiles, favoriser la collaboration entre des acteurs, faire avancer l’organisation collective. En nous spécialisant sur 3 secteurs, nous construisons sur chacun d’entre eux des ressources à activer : des réseaux de personnes formées, des solutions entrepreneuriales éprouvées, des partenaires privés ou publics de confiance. Puis nous collaborons étroitement avec des partenaires sur batailles concrètes, comme une nouvelle loi ou le déploiement d’une solution à l’échelle d’une région.

Notre indicateur clé, ce serait alors l’ampleur des victoires gagnées.

Deux options finales

Toutes les équipes de makesense France ont étudié ces deux scénarios durant un séminaire d’une journée. Le matin : scénario 1 ; l’après-midi : scénario 2.

Pour que chacun puisse comprendre et se projeter dans chaque scénario, nos 6 mousquetaires les ont présentés de façons différentes, pour parler tant au cœur qu’au corps et à la tête. On a présenté des chiffres, des fonctions et des bijections pour démontrer rationnellement le pourquoi du comment. On a écouté les histoires de x, y, z, bénévoles, entrepreneurs et collaborateurs dans le makesense de demain. On a ébauché nos futurs métiers… Des ateliers ont été organisés pour creuser des points précis de chacun des scénarios entre collègues.

À l’issue de cette grande journée, tout le monde a pu exprimer son opinion sur les scénarios. Plutôt qu’un vote à la OUI / NON qui aurait créé une opposition entre 2 camps, nous avons toutes et tous évalué les 2 scénarios selon 8 critères : motivation à le mettre en place, capacité de changement systémique, alignement avec l’ADN de makesense ou encore potentiel de modèle économique.

Sur la base des résultats de la consultation, les 6 mousquetaires ont choisi. Même si le scénario 2 — celui des victoires concrètes — était attractif, plus tranché et permettait des résultats court-terme plus mesurables, c’est le scénario 1 — celui des croyances et principes d’actions — qui sert désormais de base à notre Théorie du Changement. Plus aligné avec l’ADN, l’historique et les métiers de makesense : il nous permet de continuer à agir à la racine des problèmes. Nous avons résisté à l’attrait du court-termisme et du concret, pas simple compte tenu des normes sociales actuelles !

La décision finale a été soumise aux équipes qui l’ont approuvée selon la méthode de la “gestion par consentement” — un outil d’intelligence collective promu par l’Université du Nous. Et grâce aux étapes d’alignement collectif préalable, aucune objection n’a été émise. Une fois validée, pas besoin de 6 mois pour embarquer les équipes ou faire passer la pilule, tout le monde était déjà embarqué.

“C’est la capacité de l’humain à accepter, comprendre et modifier son comportement qui fera la différence. Une adaptation qui passe par des changements de paradigme dans nos fonctionnements actuels”, rappelle le chercheur-explorateur Christian Clot.

Troisième étape : l’aboutissement

Notre aventure restera mouvementée, surprenante, mais elle ne perdra pas de vue ses priorités. Toutes les équipes sont désormais alignées sur un but commun : transmettre, à un maximum de personnes, cinq principes d’action qui nous paraissent indispensables pour construire une société inclusive et durable.

Ces personnes pourront à leur tour les faire rayonner autour d’elles, et faire bouger les normes en fédérant et mobilisant autour d’elles dans différents cercles de la société : écoles, entreprises, mouvements citoyens, politiques et associatifs.

Les cinq principes, les voici :

  1. Saisir et se saisir de la complexité du monde — nous ne croyons pas aux solutions simplistes et définitives, mais plutôt à l’esprit critique et d’adaptation.
  2. Nourrir et cultiver les imaginaires désirables — l’imagination doit nous permettre de poser de nouvelles règles du jeu, d’inventer une nouvelle société.
  3. Développer les capacités d’initiatives et d’adaptation — nous outillons les individus pour qu’ils puissent agir et transformer leur environnement, les systèmes dans lesquels ils évoluent.
  4. Faire ensemble pour mieux vivre en société — nous développons de nouveaux modèles d’organisation, plus épanouissants individuellement, plus efficaces collectivement.
  5. S’inscrire en harmonie avec le vivant — pour en finir avec la domination de la nature par l’Humain…

Tous nos programmes, nos formations, nos accompagnements ont pour objectif (explicite ou implicite) de fournir cette boussole à des gens infiltrés partout dans la société pour qu’ils construisent vraiment un monde meilleur. On fournit la boussole, ils trouvent le chemin.

Notre ambition désormais, c’est de transmettre cette boussole à un million de personnes, directement dans nos programmes, mais aussi indirectement via les communautés et entreprises sociales que nous accompagnons — partout dans la société et l’économie.

“Aujourd’hui certains principes nous semblent évidents, reconnaît Solène. Mais si ça nous semble évident, c’est justement parce qu’on y a longuement réfléchi, qu’on a pris le temps de clarifier ces questions, et de savoir qui nous étions vraiment. Pour en arriver là, on a aussi fait dans la dentelle. On a creusé pendant des heures chaque mot de chaque principe, en se demandant quelle était pour chacun d’entre nous la définition du mot, ses limites et son flou artistique. Cela peut sembler superficiel, mais cela fait aussi partie du temps d’alignement.”

Pour Alizée, “ce résultat, c’est aussi reconnaître l’ADN de makesense. Nous sommes un terrain d’expérimentation pour faire vivre des expériences qui transforment. Nous travaillons avec les femmes et les hommes, nous accompagnons leurs parcours individuels et collectifs. Nous ne ferons jamais passer de nouvelles lois ni de transformations d’entreprises de bout en bout. Mais nous permettons à des milliers de personnes de se reconnaître, se constituer, et d’agir ensemble sur des bouts du système, utilement et dans la joie. Car c’est comme ça qu’on change le monde.”

Et maintenant : la mise en place (et la fête) !

Ces 5 principes ne sont pas des vœux pieux ; à l’avenir, ils feront le lien, le ciment de toutes nos activités. Chaque fois qu’on se lancera dans un nouveau projet, on devra s’assurer qu’il soit pertinent au regard de plusieurs de ces principes… De fait, les cinq principes pourront nous conduire à refuser certaines missions ou en réorienter d’autres. Ils nous aideront à faire des choix au quotidien ; de deux options, nous privilégions toujours celle qui maximise la diffusion de nos cinq principes.

Un comité de mission, composé de salariés élus sans candidat et de personnalités externes, va accompagner la diffusion de notre stratégie sur le temps long. Un travail de recherche universitaire lancé il y a un an et demi par Lucie sur le processus d’engagement citoyen en collectif va nous permettre d’approfondir encore notre compréhension de l’action collective promue par makesense et les ressorts de la transformation engendrée au travers de celle-ci pour l’individu, le collectif et la société (résultats de thèse à venir!).

Grâce à ce travail de mise au point, on a aussi pris conscience de nos points forts. Et l’un d’entre eux est notre capacité à célébrer le chemin parcouru et les petites victoires, parce que ça aussi, cela va dans le sens de l’émergence de la société à laquelle nous rêvons. Alors, on a pris le temps de faire la fête une fois ces principes définis, de parler d’autre chose ou de refaire le monde une nouvelle fois. Prochainement, on va s’offrir la possibilité de rêver à cette nouvelle société, en travaillant avec des artistes qui vont la dessiner, la chanter, la danser et la poétiser…

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makesense

makesense est une communauté internationale de citoyens, d’entrepreneurs et d’organisations qui résolvent ensemble les défis sociaux et environnementaux